Bételgeuse, l’épaule droite du fier Orion qui règne sur le ciel d’hiver, a mis les scientifiques sur des charbons ardents pendant plusieurs mois. Étoile rougeâtre, avec une couleur bien identifiable à l’œil nu surtout en comparaison avec la bleue Rigel, le pied gauche du guerrier, Bételgeuse a vu sa luminosité affaiblie pendant plusieurs mois pendant l’hiver 2019-2020.
Des spéculations sont rapidement apparues, l’étoile se faisant de plus en plus faible à l’oeil nu, l’hypothèse de l’arrivée de la fin de la vie de cette géante rouge et son imminente explosion en forme de supernova a pris vite sa place dans l’imaginaire (et les espoirs !) des scientifiques et des amateurs du ciel. La dernière supernova apparue dans notre galaxie datant du XVIIe siècle, l’expectative de voir éclater l’épaule du guerrier et assister à ce qui devrait être un évènement sublime était grande. Une telle explosion rendrait en effet l’étoile visible en plein jour et certains disent même qu’il serait possible de lire un livre au clair de supernova lors d’une nuit sans lune.
Image de la constellation d’Orion en Février 2012 (gauche) et Février 2020 (droite).
La luminoisité de Bételgeuse apparait largement diminuée. Crédits : H. Raab
L’équipe de scientifiques coordonnée par Miguel Montargès (Observatoire de Paris), dont des chercheurs du Laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d’Azur/UCA/CNRS), ont donc braqué rapidement les plus grands télescopes sur cette étoile, notamment les télescopes du VLT (Very Large Telescope) situés dans le désert d’Atacama, au Chili. Dotés d’instruments d’observation avec les technologies les plus modernes, ces télescopes ont produit les observations nécessaires pour comprendre le phénomène physique qui avait amené Bételgeuse à faiblir sa luminosité.
Ces instruments, et notamment l’instrument SPHERE, co-porté par l’Observatoire de la Côte d’Azur, peuvent aujourd’hui explorer les environnements stellaires avec une résolution inatteignable auparavant depuis le sol. En effet, SPHERE est doté de la technologie d’optique adaptative extrême, qui permet de corriger les effets de turbulence atmosphérique qui brouillent les images quand la lumière traverse l’atmosphère terrestre. L’augmentation de la résolution spatiale implique d’être capable de distinguer des détails très fins à la surface des objets observés, ce qui a permis d’analyser avec détail l’environnement circumstellaire de Bételgeuse.
Plusieurs images ont été obtenues dans le visible avec la caméra ZIMPOL de SPHERE, qui avait permis dès 2016 d’obtenir des images de la surface de Bételgeuse. L’étoile était surveillée avant « le Grand Déclin » de fin 2019. Il a été donc possible de comparer les différentes images et de constater que la baisse de luminosité n’était pas homogène, mais qu’elle se centrait plutôt dans le quadrant Sud-Ouest. Quelque chose s’était donc passé sur ou devant une partie de la surface de l’étoile. Cela était un argument clair contre l’explosion imminente d’une supernova.
Images prises avec la caméra ZIMPOL de SPHERE qui montrent la tache de poussière formée à partir de décembre 2019.
Mais les observations ne font pas tout en astronomie. Pour pouvoir interpréter les images obtenues, des modèles physiques des étoiles et de son environnement sont nécessaires. Dans le cas de Bételgeuse, les modèles ont permis d’analyser les possibles hypothèses pour expliquer les images obtenues, notamment l’apparition d’une zone froide sur la surface de l’étoile qui aurait rendu cette zone soit moins lumineuse ou la formation d’un grumeau de poussière entre l’étoile et nous qui aurait occulté une partie de l’astre.
Les solutions des astronomes doivent toujours prendre en compte toutes les données connues sur l’objet qu’ils étudient. Dans le cas de Bételgeuse, la géante rouge est connue pour avoir de petites variations de luminosité dues à des pulsations et à sa surface « bouillonnante » (voir « Le coin des curieux – Pi Gruis ou le mystère résolu de l’étoile bouillonnante »). Ces indices ont amené les chercheurs à imaginer une hypothèse combinée : le bouillonnement de l’étoile, c’est-à-dire, sa convection, aurait provoqué l’apparition d’une zone plus froide sur la surface de l’étoile et fait s’échapper du gaz qui aurait favorisé la formation rapide de poussière juste devant l’étoile qui, en bloquant sa chaleur aurait provoqué encore une cascade de formation de poussière. Ce (gros) grumeau formé aurait été éjecté et aurait obscurci l’étoile pendant « le grand Déclin ». Son expansion avec le temps et donc la diminution de son opacité, aurait amené l’étoile à récupérer sa luminosité initiale, comme on l’observe à nouveau aujourd’hui.
Nous sommes loin, donc, de l’hypothèse dans laquelle Bételgeuse se préparait pour nous délecter avec une explosion fascinante. C’est plutôt l’hypothèse de l’épaule poussiéreuse que le guerrier Orion aurait nettoyé d’un mouvement de main que les chercheurs mettent en avant, ravis d’avoir observé en temps réel un évènement produit dans une étoile et de l’avoir compris et expliqué.
Continuons donc à regarder le ciel, si la supernova n’arrivera pas pour l’instant du côté de Bételgeuse, peut être qu’une autre étoile se prépare en silence pour nous faire le cadeau de ce magnifique spectacle.
Références
A dusty veil shading Betelgeuse during its Great Dimming, Nature, 16 juin 2021.
Image de la surface de Bételgeuse prise en décembre 2019.
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