OlivierMinazzoliTrois articles au sujet d'une nouvelle théorie de l’espace-temps viennent de paraitre en 2021.

Olivier MINAZZOLI,  astrophysicien au laboratoire Artemis (CNRS-UCA-OCA) nous présente cette nouvelle théorie baptisée « relativité intriquée » .

 Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la relativité intriquée, en deux mots ?

C’est une nouvelle théorie générale de la relativité, donc notamment de la gravitation, un peu différente de celle d’Einstein, mais avec le même but : décrire la forme de l’espace-temps à partir de son contenu matériel. Comme dans la théorie d’Einstein, on y trouve une équation, qu’on appelle « action »,  qui définit la façon dont la matière courbe l’espace-temps. Mais cette relation est différente, avec une différence qui n’avait pas été explorée jusqu’à présent. Ce qui est très intéressant est qu’elle permet d’esquiver une difficulté, à mon avis importante d’un point de vue métaphysique, sur laquelle Einstein avait buté. Voilà, en quelques mots.

 

Et comment est née cette théorie ?

En 2015, nous travaillions avec mon étudiant Hendrik Ludwig sur un certain type théories alternatives à la relativité d’Einstein[1] que nous avions proposé quelques années auparavant avec mon collègue et ami Aurélien Hees,  quand nous sommes tombés (presque) par hasard sur cette nouvelle relation liant matière et espace-temps.

Nous avons publié la théorie en 2015 [2] , mais ce n’est qu’en 2018 [3] que j’en ai publié la forme finale, après avoir réalisé que nous avions manqué un gros détail, qui pourrait néanmoins faire le lien avec la théorie quantique des champs. C’est ensuite, en 2021[4],  qu’avec deux étudiants, Denis Arruga et Olivier Rousselle, nous l’avons baptisée « relativité intriquée », car par construction, matière et courbure de l’espace-temps y sont inséparables. Petite précision préliminaire : cette théorie n’a rien à voir, a priori, avec l’intrication quantique.

Vous dites qu’Einstein avait buté sur une difficulté, pouvez-vous expliquer ?

Il faut se pencher sur les motivations d’Einstein. Il les explique très simplement en réponse à un journaliste, en 1921, lors de sa première visite aux USA : « On croyait auparavant que si toute matière de l’Univers disparaissait, l’espace et le temps, eux, continueraient d’exister.  Alors que selon la théorie de la relativité, ils disparaissent aussi ». Cette conviction dérivait d’un principe qui avait guidé Einstein dans la construction de la relativité : le principe de Mach, et plusieurs  années durant, il a été persuadé que la théorie de la relativité qu’il avait construite répondait à cet impératif philosophique. « Selon mon opinion, la théorie de la relativité générale est un système satisfaisant s’il montre que les qualités physiques de l‘espace sont complètement déterminées par la seule matière. Pour cette raison aucun champ gmn ne peut exister (c’est-à-dire aucun continuum d’espace-temps) sans la matière qui le génère. ».  Or les premières solutions qui furent trouvées aux équations, par exemple par Karl Schwarzschild, pouvait correspondre à un espace sans matière… C’est notamment pour faire disparaître ces solutions qu’Einstein introduisit alors la constante cosmologique. Mais Willem de Sitter montra que cette constante n’empêchait en rien les solutions de vide d’exister.  Einstein pensa tout d’abord avoir détecté une erreur dans le calcul de de Sitter. Il n’en était rien et de Sitter avait raison : la relativité d’Einstein admet des solutions correspondant à un espace-temps courbé bien que dépourvu de matière.

Dans le cas de la relativité intriquée, au contraire, matière et espace-temps sont plus intimement liés que dans la théorie d’Einstein, et les équations ne peuvent pas être définies en l’absence de matière. Techniquement c’est très simple : en relativité générale l’équation de l’action contient deux termes qui s’ajoutent, l’un pour l’espace-temps et sa courbure, l’autre pour la matière… Si l’un des deux est nul, l’autre peut tout de même définir une théorie (soit d’un espace-temps vide, soit de la matière en espace-temps plat). En relativité intriquée, c’est une division qui relie les deux termes dans la définition de la théorie. Si le terme de matière est nul, il n’y a simplement plus de théorie.

Que prévoit la relativité intriquée pour le système solaire, c’est-à-dire dans un cas ou la gravitation est faible ?

Dans le cas des champs faibles, la différence entre la relativité intriquée et la relativité générale est parfaitement négligeable. La théorie décrit donc le système solaire comme la relativité générale, c’est-à-dire mieux, dans les petits détails, que la théorie de Newton.

Alors,  y a-t-il des conséquences particulières prédites par la théorie ?

Il faut souligner en premier lieu quelque chose de très intéressant : cette théorie ne possède aucun paramètre ajustable. Donc elle marche, ou elle ne marche pas. Par contre, il y a une nouveauté substantielle, je l’ai compris en 2018 : il faut introduire une nouvelle constante universelle, qui fait le lien entre relativité et physique quantique. Cette nouvelle constante n’intervient cependant pas dans ce que l’on sait observer à l’heure actuelle. Mais elle devrait jouer un rôle dans le régime quantique de la théorie.

Pour ce qui est des prédictions de la théorie, qui pourraient être vérifiées à terme, nous avons étudié avec plusieurs étudiants l’impact sur les étoiles à neutrons. Nous avons trouvé que dans la théorie intriquée, elles peuvent être plus massives de presque 8 % par rapport à celles de la théorie d’Einstein. Cela pourrait être compatible avec les observations. Et les différences ne se limitent pas à la limite de masse : la géométrie de l’espace-temps autour de l’astre compact est aussi légèrement différente. Nous avons bon espoir de pouvoir tester ces petites différences avec l’instrument NICER de la NASA qui est placé sur la station spatiale internationale.

Et pour ce qui est des trous noirs ?

Avec un étudiant en thèse, Edison Santos, nous avons montré que les trous noirs prédits par la relativité intriquée sont vraisemblablement indistinguables de ceux prédits par la relativité générale[5] . Pour ce faire, nous avons utilisé le fait que la théorie a des propriétés assez similaires aux propriétés de la limite effective à basse énergie de la théorie des cordes. Nous avons donc pu utiliser le corpus d’études sur les trous noirs dans le cadre de la théorie des cordes pour nous guider, et avons ainsi trouvé la solution pour un trou noir sphérique chargé. A la limite où l’espace-temps est presque vide (comme dans l’espace intersidéral), on retrouve bien le trou noir sphérique usuel de la relativité générale : le trou noir de Schwarzschild.

Une autre conséquence de la théorie concerne l’accélération de l’expansion de l’univers, qui est attribuée à la constante cosmologique dans le cadre de la relativité d’Einstein. Dans le cadre de la relativité intriquée, elle ne peut pas être provoquée par une simple constante cosmologique : cela conduirait à une violation de diverses manifestations du principe d’équivalence, qui sont pourtant bien vérifiées aux échelles cosmologiques. Mais d’autres explications à cette accélération sont possibles ! Je viens justement d’en proposer une, basée sur des effets de chromodynamique quantique en espace-temps courbe[6]. Pour l’heure il ne s’agit que d’une hypothèse, mais qui pourra être testée, je l’espère, à terme.

Beaucoup de travail reste cependant nécessaire pour calculer finement les prédictions de ce modèle, qui devront être comparées aux observations cosmologiques. En somme, il faut refaire tout ce qui a été fait dans le cadre de la relativité générale, et cela prend beaucoup de ressources, par exemple en termes de temps de recherche, qui me font un peu défaut en ce moment.

Pensez-vous à d’autres conséquences potentielles ?

Oui. Par exemple, sur la question des singularités des trous noirs. La singularité d’un trou noir est une région où la notion même d’espace-temps disparaît. La preuve que les singularités sont inéluctables après la formation d’un trou noir a valu le prix Nobel en 2020 à Roger Penrose. Donc les singularités doivent exister en relativité générale, mais elles posent un problème redoutable : à cet endroit, la théorie n’est plus valable, et beaucoup pensent qu’il s’agit donc là de la preuve formelle de l’incomplétude de la relativité générale. Dans la théorie de la relativité intriquée, l’état très énergétique de la matière pourrait bien rendre la gravitation répulsive à l’intérieur du trou noir, avant d’arriver sur cette hypothétique singularité. Ceci reste à être démontrer de façon rigoureuse, mais nous avons de bonnes raisons de penser que c’est ce qui devrait se passer.

Cette répulsion pourrait aussi potentiellement expliquer le phénomène d’inflation de façon naturelle, lors les tout premiers instants de l’univers. « Inflation », c’est le nom donné à une phase d’expansion qui, dans le scénario du Big-Bang, a brutalement dilaté l’univers hyper-dense d’il y a quelques 13 milliards d’années.  Actuellement cette inflation est nécessaire pour expliquer certaines propriétés observées de l’univers, mais le mécanisme sous-jacent qui la provoque reste inconnu. Cet écueil pourrait disparaitre avec la relativité intriquée.

Y a-t-il d’autres travaux sur cette théorie ?

Très peu pour l’heure. La théorie est toute jeune d’une part, et je dois admettre que je ne l’ai pas encore suffisamment présentée en conférence. Comme l’hypothèse de base est assez radicale et surprenante, j’attendais d’avoir plus de résultats pour commencer à en parler plus largement. Passé une certaine stupéfaction, l’accueil que j’en ai reçu jusqu’à présent dans la communauté est néanmoins plutôt très positif.

Contacts :

Olivier MInazzoli, olivier.minazzoli@oca.eu

Olivier Minazzoli est chercheur en astrophysique au laboratoire Artemis de la Côte d’Azur. Après avoir effectué une thèse d’astrophysique à Nice, il a notamment travaillé au Jet Propulsion Laboratory, co-administré par la NASA et le California Institute of Technology. Rentré à Nice depuis 2013, il était jusqu’en 2020, Chargé de recherche au Centre Scientifique de la Principauté de Monaco..

Communication : gilles.bogaert@oca.eu

Références

[1]Intrinsic Solar System decoupling of a scalar-tensor theory with a universal coupling between the scalar field and the matter Lagrangian,  Physical Review D, vol. 88, Issue 4, id. 041504 (2013)  Doi : 10.1103/PhysRevD.88.041504

 Théories alternatives : il s’agit de propositions d’améliorations de la relativité générale qui introduisent souvent un ou plusieurs paramètres tout en tentant de conserver les propriétés connues et démontrées de la théorie d’Einstein, qui pour l’instant parvient à passer avec succès tous les tests possibles, et en particulier les nouveaux tests rendus possibles par la détection des ondes gravitationnelles émises par les trous noirs et étoiles à neutrons.

[2]Merging matter and geometry in the same Lagrangian, Physics Letters B, Volume 751, p. 576-578 (2015), Doi : 10.1016/j.physletb.2015.11.023
 
[3]Rethinking the link between matter and geometry Physical Review D, Volume 98, Issue 12, id.124020 (2018)
[4]Compact objects in entangled relativity, Physical Review D, Volume 103, Issue 2, article id.024034 (2021),  Doi :10.1103/PhysRevD.103.024034

[5]Charged black hole and radiating solutions in entangled relativity, The European Physical Journal C volume 81, Article number: 640 (2021), DOI :10.1140/epjc/s10052-021-09441-w

[6]De Sitter space-times in entangled relativity, Classical and Quantum Gravity, Volume 38, Number 13 (2021), doi:10.1088/1361-6382/ac0589